Le document de l’INA sur Marie Noël présente pour nous un intérêt majeur. Elle a 76 ans, vit à Auxerre, est au faîte de sa gloire. Elle avoue recevoir des lettres d’admiration du monde entier, mais de nature ‘sauvage’, elle préfère protéger son intimité dans sa petite ville de province. C’est sur le seuil de la cathédrale qu’elle apparaît, au sortir de la messe quotidienne. A son biographe Escholier qui l’interroge au sujet de son retrait par rapport au monde littéraire, elle avoue la pertinence de son choix délibéré de continuer à écrire dans une solitude assumée qui l’éloigne des sollicitations des gens de lettres. A cet égard ‘La prière du poète’ nous éclaire sur la conception de sa poésie. S’adressant à Dieu, elle écrit :
« Donne de quoi chanter à moi pauvre poète
Pour les gens pressés qui vont, viennent, vont,
Et qui n’ont pas le temps d’entrer dans leur tête
Les airs que la vie et la mort y font…
Un peu – si peu - ce qui demeure d’or en poudre
Ou de fleur de farine au bout du petit doigt,
Rien, pas même de quoi remplir mon dé à coudre…
Pourtant de quoi remplir le monde par surcroît »
Offrande qui nous touche par sa spontanéité ! Ecouter librement sa musique intérieure et la transmettre dans un élan de générosité telle est sa mission !
Les autres, ce sont les écrivains qui l’ont admirée. Le document évoque Montherlant, nous aurions pu en citer d’autres, mais ce sont aussi des gens connus ou inconnus qui ont partagé ses poèmes venus mystérieusement du fond de son cœur ! Les phrases de Montherlant à propos de son œuvre l’ont touchée. Parlant de lui, elle se révèle comme une femme tolérante et de grande conviction. En dépit des critiques dont il est l’objet, elle souligne sa grandeur d’âme. Dans ses ‘Notes intimes’, elle écrit :
« Je crois que Montherlant est de l’espèce d’étoffe dont Dieu fait parfois Augustin… Dieu attend au tournant l’homme de Désir. Je prie pour lui… »
De même sa rencontre avec De Gaulle l’a beaucoup impressionnée car dans sa modestie elle n’envisageait pas qu’il puisse venir la saluer chez elle ! Elle est frappée par sa physionomie aimable et le contact chaleureux de sa main. Rappelons à ce sujet que pendant la seconde guerre mondiale elle a écrit un message d’espérance à un sauveur hypothétique, venu d’Angleterre qui libèrerait la France ! En maison occupée, sans poste de radio, elle ignorait encore ‘La France libre’ qui ne lui fut révélée qu’un peu plus tard. Pour mieux dissimuler ce message, elle l’avait écrit en style pseudo-médiéval :
« France, la Reine au mois des mille fleurs,
France est tombée au bois de grand malheur…
Dans le brouillard sans yeux elle regarde
Et pleure et crie en implorant la mer…
Mouette, oiseau dont le vol est témoin
De moi qui meurs va loin, va loin, va loin
A mon ami va le dire…
Dis-lui qu’il vienne avec sa main armée
Et brise en l’ombre où mon malheur attend… »
A travers son œuvre, nous gardons d’elle une image plus quotidienne que le document nous dévoile. Toujours entourée d’enfants, elle célèbre dans ses Chansons la magie de la ronde d’autrefois, les visages de ses amies d’enfance qui dansaient avec elle sur la place, monde du merveilleux qui l’a toujours accompagnée !
Pierre Sentenac illustration Rondes sur la place
Dans le livre Marie Noël ou l’aventure du silence publié en 2006, en empathie avec elle, j'ai transcrit ce moment privilégié:
Rondes sur la place
A mon beau château
La ronde d’autrefois
Deux rondes : l’une la plus nombreuse
Marthe Madeleine Jeanne Marie
Où êtes-vous pour démolir le beau château
Pierre à pierre
Ronde démolisseuse
Qui enchantait nos jeunes cœurs.
Que lui donnerez-vous ?
De merveilleux bijoux
Que nous façonnions avec liberté
abandonnant la grande ronde
Pour démolir entièrement le beau château…
M.S
Marie Noël ou l'aventure du silence » de Michèle Serre
( Livres d’artiste de Collection, fait main, couverture Moulin Laroque, papier moulin ou vergé:
tirages 100 exemplaires numérotés, prix: 17Euros )