21 décembre 2012

Conte royal (de Noël)


Ce fut au temps où les sources parlaient, où les arbres marchaient dans les forêts solitaires. Lors, le fils d’un homme riche, parti depuis quelques années à la découverte d’une fleur dont la beauté surpassait la lumière du jour, abandonna la maison de son enfance. Comme son père autrefois, il rêvait d’une fleur unique qui transformerait sa vie et éclairerait son destin…

Quelques jours auparavant, un vagabond avait tapé à sa porte et lui avait donné une boîte léguée par son père peu avant sa mort et qui renfermait le secret de la fleur. Mais il lui était défendu d’ouvrir la boîte sous aucun prétexte jusqu’à ce que les mains d’une belle jeune fille lui offrent cette fleur merveilleuse.
Muni de cette recommandation et de la promesse qui lui fut faite, il traversa landes et forêts, pays dévastés par la guerre et la famine, échappa de justesse à des épidémies, risqua sa vie plus d’une fois pour préserver son trésor scellé dans un sac toujours à sa portée.
Un jour que les épreuves se multipliaient sur sa route, affamé, fiévreux et désespéré, il n’y tint plus, ouvrit la boîte et jeta un regard rapide à son contenu !
Soudain, il aperçut dans un éclair le reflet d’une eau profonde où gisait une fleur magnifique qui, tel un nénuphar, déployait ses pétales sous une lumière radieuse ! Ivre de bonheur, il se pencha pour la contempler mais une main sévère le gifla violemment et la vision de la fleur disparut aussitôt…

Déçu et malheureux, il voulut surprendre l’indélicat personnage qui avait mis fin si brutalement à l’apparition. Mais il était invisible, si tant est qu’il eût jamais existé !
Pourtant, lorsqu’il scruta le chemin qu’il voulait emprunter, il aperçut deux mains qui, telles des lampes allumées, balisaient sa route tandis que la boîte semblait voler devant lui dans la forêt impénétrable…

Après de longues heures de marche, il s’endormit, exténué, au pied de l’arbre plantureux qui le couvrait de son ombre. Il rêva toute la nuit de la boîte magique et le chant mélodieux d’un oiseau le réveilla à l’aube. Il eut peur d’avoir perdu le précieux butin mais la boîte magique était toujours là, dans le sac, à portée de ses mains !
Malgré l’interdiction, il l’ouvrit une deuxième fois: l’image de la fleur avait définitivement disparu laissant la place à une feuille d’arbre pliée en quatre où s’inscrivaient d’une belle écriture ces mots mystérieux :

_ « Sur le chemin des hêtres et tout au bout, tu rencontreras une belle jeune fille nommée Blanche-Fleur. Elle est assise près d’un puits. Elle te donnera à boire. »

C’est ainsi qu’en suivant le chemin des hêtres, il arriva près d’un puits et découvrit la belle demoiselle dont le sourire enchanteur l’accueillit :

_ « Je t’attends depuis toujours. Approche-toi, aie confiance, je te donnerai à boire. »

Elle recueillit dans ses mains une eau divinement parfumée et il se pencha vers elle et but pendant de longs instants ce breuvage délicieux. Et tandis qu’il tentait d’étancher sa soif, une autre soif plus profonde grandit en lui…

C’est alors que dans le reflet de l’eau, le jeune homme découvrit une fleur magnifique dont la vision le plongea dans le ravissement…

Avec une stupeur émerveillée, il regarda longuement la jeune fille

Elle tenait dans ses fines mains une fleur d’une blancheur incomparable.
Il n’avait jamais rien vu de si beau et tomba en extase sous l’effet de l’Apparition…

Revenant à la réalité, il voulut s’assurer que la boîte était toujours enfermée dans le sac. Comme par enchantement, la fleur avait quitté les mains de la jeune fille pour habiter son visage.

Et la vision céleste qu’il eut le récompensa au centuple de toutes les misères et souffrances qui avaient jalonné son chemin.

Michèle Serre 


Pierre Sentenac dessin ordinateur Conte Royal





 Livre:

"Contes d'hier & d'aujourd'hui" de Michèle Serre
illutrations de Pierre Sentenac
                                            est disponible aux Editions Le Bien-Vivre:  lbvmps@outlook.fr 
                                   ( Livres d’artiste de Collection, cousu main, couverture Moulin Laroque,
                                   papier moulin ou vergé: tirages 100 exemplaires numérotés, prix: 15Euros)



   

4 décembre 2012

"La rencontre nous crée"


Les festivals sont souvent un lieu privilégié de rencontres autour d’une passion commune, en l’occurrence la poésie. Il y a quelques années, je l’ai rencontré pour la première fois au festival de Lodève « Les Voix de la Méditerranée ».

Chanteur-poète, sa guitare en bandoulière, Guilhem Gottardi revenait du pays de René Guy Cadou, avait visité la maison de ce poète mort dans la fleur de l’âge dont le talent continue à faire rêver tant de générations de poètes. Un lien mystérieux s’est établi entre nous et l’histoire n’est pas finie… Je l’ai retrouvé quelques années après au festival de poésie de Sète « Voix Vives » et nos échanges se sont approfondis autour de René Guy Cadou de Marie Noël et des poètes que nous aimons !

Aujourd’hui nous avons envie de partager sur le blog son itinéraire, un chemin de lumière qui transcende sa foi en la création.
S’adressant au peuple du Canada au cours d’une conférence, Martin Luther King racontait :

« Dès l’aube de notre combat pour la liberté, le Canada a été l’étoile polaire. L’esclave noir, privé d’éducation, déshumanisé… savait qu’il y avait un pays où le fugitif, s’il réussissait à survivre à l’horreur du voyage, pouvait trouver la liberté. » le mot ciel désignait le Canada !

Pierre Sentenac  "dernière simplicité" gravure/bois 15/15

Un negro spirituals : « Follow the Drinking gourd » (Suis le chemin de la calebasse…) contenait sous le camouflage des vers des indications destinées à l’évasion.
La calebasse était la grande ourse et l’étoile polaire vers laquelle elle pointait, dessinait la carte céleste qui dirigeait les pas du fugitif jusqu’au Canada.

Certes il ne s’agit pas pour Guilhem Gottardi de sauver sa vie mais sans doute dans un monde matérialiste et consumériste, de trouver dans la poésie et la chanson « un ciel » symbolisant pour lui un rêve d’amour et de liberté qu’il a envie de partager avec nous.
Mais faisons quelques pas avec lui :

« Né le 2 octobre 1978 à Montauban (Tarn et Garonne)
Enfance simple, fondée sur des valeurs laïques (parents enseignants) et proches de la nature (week-end en bord de Garonne). Un grand frère (1970) et une grande soeur (1974), je suis le benjamin.

Découverte de la chanson et de la poésie :
_ dans l'enfance: essentiellement Jacques Brel par mon père (réveil tous les dimanche matin avec ses chansons :
La parlote, Jef, Au suivant, La fanette...).
_ collège, lycée : très mauvais souvenir des cours de Français.
Très timide, l'idée de devoir écrire quelque chose en un temps limité me glaçait.
Aucune lecture marquante (presque un rejet), je me suis dirigé vers des études scientifiques.
_ faculté: études de mathématiques à l'université Paul Sabatier (Rangueil) à Toulouse.
C'est là qu'en dehors des cours j'ai découvert mon goût pour la poésie et les chansons.
En poésie, pour l'essentiel: Francis Jammes, Marie Noël, Pierre Reverdy, René Guy Cadou.
En chanson: je m'intéresse à tout ce qui touche à la « poésie chantée » :
des plus connus (Georges Brassens, Léo Ferré, Gilles Vigneault, Félix Leclerc, Guy Béart, Barbara, Anne Sylvestre, Catherine Sauvage...)
au moins connus (Philippe Forcioli, Jacques Bertin, Pierre Delorme, Giani esposito, Jean Vasca, Pierre Louki, Gilbert Lafaille, Bernard Haillant, Allain Leprest...).

Rencontre avec Philippe Forcioli: le 1er août 2003, je fais la connaissance du chanteur (que j'écoutais et admirais déjà depuis plusieurs années) à Vilar en val (Aude, un peu au dessus de Limoux) sur un « sentier en poésie » qu'il a créé en hommage à l'écrivain Joseph Delteil (Vilar en Val est son lieu de naissance).
Nous sympathisons, je lui dis mon admiration pour ses chansons dont il me donne les accords à la guitare et m'incite à écrire les miennes.
Depuis il n'a cessé de me garder bien généreusement sous son aile. http://sitephilippeforcioli.free.fr/
Et je partage mon temps entre l'enseignement (je suis « instituteur » ou « professeur des écoles » pour de très jeunes enfants en « maternelle ») et les chansons
.
J'ai composé mes premières chansons en 2004 sur des poèmes de Francis Jammes extraits « De l'angélus de l'aube à l'Angélus du soir ».
J'ai commencé à écrire mes « propres » chansons (paroles et musiques) en 2005 et n'ai pas cessé depuis.
Je continue tout de même à mettre « en musique » les poètes que j'aime au gré des coups de coeur (après Francis Jammes, il y a eu par exemple Paul Verlaine, Germain Nouveau et Pierre Gamarra).

Je revois fréquemment Philippe Forcioli en participant à des balades avec son association « A Pied sous le Ciel ». Il me propose de chanter au cours de soirées conviviales et improvisées et m'a fait l'honneur à l'automne 2010 d'enregistrer une de mes chansons sur son dernier disque (« Paroles Célestes » sur le cd « Le mystère demeure »).

Cette année, je travaille régulièrement avec une chanteuse de Montpellier pour un récital que nous donnons « chez l'habitant » ou sur de toutes petites scènes. Il s'intitule « Voeux » et comprend des mises en musique de poèmes que l'on aime ainsi que mes propres chansons.

La chanson « Chanteur pour voir »:
J'ai écrit le texte de cette chanson en avril 2011 sur le massif du Garlaban.
Alors en séjour à Aubagne avec en tête la chanson de Philippe Forcioli qui y a vécu (« Blanc Garlaban ), avec en poche les livres de Pagnol et au coeur un amour blessé et brûlant.
J'avais d'abord intitulé le texte « Se situer » (ou « Ceci tu es ») mais j'ai opté pour « Chanteur pour voir » quelques semaines plus tard en faisant la musique. »

Après ces quelques notes biographiques, il est important de souligner l’admiration de Guilhem Gottardi pour le chanteur-poète Philippe Forcioli, rencontre fraternelle et chaleureuse qui l’a adoubé dans son chemin de création. Ainsi la rencontre nous crée…

M.S



Ecoutons-le dans la chanson: « Chanteur pour voir ».

(en cliquant sur la référence You tube ci-dessous)

 http://www.youtube.com/watch?v=M8guitOfppI




Pour tout commentaire cliquer sur message ci-après:

23 novembre 2012

Deux encres-en-ciel de Pierre Sentenac

Par Laure Dino- Novembre 2012
Encre
"Matière vivante, magique, par la fraîcheur de l'expression..." Pierre Sentenac, ne cherche t-il pas dans l'encre cette alchimique teinture’ au sens de Gaston Bachelard,  l'élixir  du corps lumineux, à l'état de pureté originelle, enfantine. Si la peinture demeure opaque, l'encre peut se résoudre en eau-de-vie, grâce à sa fluidité, son intensité, parfois son indélébilité. Eau teignante, qui absorbe les fibres du buvard, de tous les tissus du peintre, qui baigne alors dans la rêverie, transparente et lumineuse. Il nous dit que tout est d'encre.

Irisation : Bleuissement
Le peintre a le pouvoir de retoucher la réalité, en y apposant des couches de peinture, ou des coups de pinceaux, et il peut décider d'iriser, nacrer, arc en ciel liser’ ce qu'il veut. Ajouter des grains de lumière’, comme Vermeer de Delft, créer sa couleur, certainement plus chargée de lumière, luminescente, fluorescente, le ‘Bleu Sentenac’. Revenir à l'Enfance de l'encre de Chine, des écoliers, jouer à peindre, mais jouer profondément... Et la fragile cabane de l'ermite, des thèmes chinois,   devient la maison du bleu   quand le peintre, renverse l'encrier.
Comme un arc-en-ciel survient d'un coup dans le paysage, ‘Irisation’ semble exécutée d'un trait. En réalité, elle l'est d'un geste. Peindre le geste de peindre, dans son essence profonde, son enfance, lui et sa palette de bleus, s'encrer sur sa toile. Offrir sa main de peintre, l'empreinte de l'amour de l'art, c'est le véritable sceau de l'artiste que l'on imagine à travers sa technique picturale.
La peinture  du ‘rêveur d'écriture’ : un mélange d'essences, un brassage, une mer qui avec des vagues, s'enroule, revient, repart vers le ciel. Une écriture doucement éclatante, à la lisière de l'écriture et de la peinture, comme de l'encre sur soie...



Pierre Sentenac  "Irisation-02/05" Encres/Arche



Voiles :Ombres de l'amour parfait
Bleu et rose. Masculin et féminin. Parfaite harmonie. Egalité karmique. Figure céleste. Une "Ovaline".
Peut-être pure vision, du couple parfait où même l'ombre se dore.
Deux voiles ou plutôt voilages de couleurs, de deux corps évanescents qui se frôlent, se croisent, s'attachent délicatement -sans s'altérer ni se recouvrir- comme des rubans.
Deux encres. Deux auras picturales. Purs esprits coagulés, fixés sur la toile, après un voyage astral, dans  l'au-delà des couleurs.



Pierre Sentenac  "Voiles-12/11" Encres/Arche




Nota Bene: 
Ces 2 encres déjà publiées dans ce blog ont été choisies par Laure Dino pour ce commentaire

7 novembre 2012

Le lieu c’est les sentiments


« Il suffit d’être un épi de blé
pour connaître le sens du vent
dans la prairie.
Mais pour un homme
c’est plus difficile… »

Extrait : Le jeu de l’ombre et du chemin



 Pierre Sentenac  



Le lieu c’est les sentiments’ nous dit Toni Morrison dans son dernier livre : « Home », titre parlant car ce mot suggère avec sobriété la maison qui rassure et protège, à laquelle tout individu aspire.
« ‘Le chez-soi’ pour un Américain est plus qu’un lieu. C’est un état mental une utopie dans laquelle on se sent en sécurité » explique Toni Morrison.
N’est-ce pas un droit fondamental pour tout individu ?

Je ne peux m’empêcher d’évoquer la quête du ‘Petit Prince’ (de St Exupéry) qui cherche un lieu où habiter.
« Chaque jour dit le renard au Petit Prince, tu t’assoieras un peu plus près de moi. »

C’est dans la rencontre que l’humain se découvre, le lieu étant ces nœuds obscurs que l’homme cherche à dénouer au cours de sa vie, un périple que le héros de ‘Home’ assume, déjouant les périls de la clandestinité…
‘Le chez-soi’ est le retour vers l’enfance, vers sa sœur qu’il a toujours protégée et qu’il veut sauver. Mais il s’agit aussi pour lui de se sauver au cours d’un voyage intérieur qui le mène au bilan de son existence.

La fin du livre est inattendue et bouleversante.
Donner à un être humain, inconnu de lui, un tombeau digne, c’est en quelque sorte pour lui se racheter, retrouver son honneur perdu et un chemin de vérité, se délivrer des horreurs de la guerre, des violences subies ou données !

Tout homme est une histoire sacrée.
M.S




Références des livres:

« Home » Toni Morrison,  Christian Bourgois

« Le jeu de l’ombre et du chemin » Michèle Serre éditions : Le Bien-Vivre
Pour commander cet ouvrage contacter l'adresse mail: lbvmps@outlook.fr 
( Livres d’artiste de Collectionfait main, couverture Moulin Laroque, papier moulin ou vergé:
tirages 100 exemplaires numérotés, prix: 19Euros )

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25 octobre 2012

Agnès Varda ou le temps qui passe



Cette amoureuse du cinéma et de l’art en général ne cessa de s’interroger sur le temps qui passe, édifiant au fil des jours et des ans, un tableau vivant de notre époque… portant un regard curieux sur les évènements et les gens, ses proches et tous les autres…
Des rencontres passionnantes l’ont formée et souvent comblée car l’art est la grande affaire de sa vie !
Sa ville fétiche, Sète, où sa famille s’est réfugiée lors de la débâcle de 1940, dans un bateau amarré sur le quai du canal, face à une maison devenue hospitalière pour une famille démunie.
Quelle nostalgie teintée d’humour, quelle légèreté quand elle évoque ses jeux avec ses petits compagnons, une lumière dans le regard qui annihile les souffrances et les privations de la guerre ! Que sont devenus ces jeunes espiègles ? Elle scrute avec affection leurs traits vieillis et burinés, prend du recul, se divertit et, malgré son ton enjoué, une émotion retenue perce dans ses propos.
Sète, patrie de Jean Vilar, le fondateur du festival d’Avignon à qui elle rend un hommage vibrant ! Sète, sa rencontre avec le réalisateur Jacques Demi, l’amour de sa vie parti trop tôt et le père de ses enfants… ses chers défunts dont elle fait un inventaire à travers films et photographies.
Un parcours de générosité car elle aime les gens, les artistes qu’elle admire mais aussi les gens de la vie ordinaire, ces veuves qu’elle filme avec empathie sur la plage, indissolublement liée au couple qu’elle forma avec Jacques Demi à l’origine de sa découverte de Noirmoutier. C’est là, après sa mort qu’elle réalisa en son honneur le beau documentaire :
« Quelques veuves de Noirmoutier »
partageant avec ces femmes fortes un destin commun de solitude.
Ainsi se dévoile-t-elle avec pudeur, « à pas feutrés » faisant surgir au-delà des images, un goût subtil de l’ailleurs, une fantaisie légère qui nous émeut par sa spontanéité.
Modeste, elle se moque parfois d’elle-même et ses multiples déguisements déminent souvent la nostalgie.
Une femme libre et moderne qui n’est jamais là où nous l’attendons, nous enchante par ses facéties, nous déconcerte parfois, et dont la rencontre (même virtuelle) nous humanise.
  M.S



     Pierre Sentenac "Un ange passe" collage papier (16/02/1989)



"Et nous avons si peu de temps
Pour rendre hommage à notre vie
Ignorante est notre écriture
         des insolences du destin"
                        Les éphémères I _ Michèle Serre

7 octobre 2012

Hildegarde de Bingen, une femme intemporelle


Il y a quelques années, l’historienne Régine Pernoud nous a permis de découvrir avec bonheur Hildegarde de Bingen, cette femme hors du commun du Moyen-Age d’Outre-Rhin. Elle la présente comme la conscience inspirée du Moyen-Age.
Le Moyen-Age est aussi celui des villes et des monastères. L’ardeur à bâtir va de pair avec l’expansion des villes, sans parler des monastères qui surgissent partout de terre. C’est dans ce monde en plein essor que se situe la naissance d’une petite fille dans une famille de la noblesse locale du Palatinat. Une petite fille, apparemment comme les autres mais qui étonne parfois son entourage. De santé fragile, elle ignore beaucoup de choses de la vie extérieure et souffre d’être incomprise car elle évoque souvent des réalités qui paraissent étranges à ceux qui l’entendent :
« On peut penser que cet enfant de santé délicate et d’une grande sensibilité, avait un don de double vue… ».

A l’âge de 8 ans, ses parents la confient à une jeune femme de noble naissance, Juta qui prend en main son éducation dans son monastère. Elle lui apprend les psaumes ainsi qu’à jouer  du ‘désacorde’, instrument dont on s’accompagnait pour chanter les psaumes. A l’époque, toute éducation commence par le chant :
« Apprendre à lire se dit alors apprendre le psautier ».
Son enfance et son adolescence sont donc cachées : celle de toute moniale suivant la règle bénédictine.

A l’âge de 15 ans, elle prend le voile. Elle s’était ouverte à Juta de ses visions secrètes. Celle-ci prit conseil de l’un des moines nommé Volmar qui l’assista pendant 30 ans. Il deviendra d’ailleurs son secrétaire et son ami. A la mort de Juta, les religieuses élisent Hildegarde comme abbesse. Elle approche de ses 40 ans et c’est alors qu’elle est révélée à elle-même, commençant à parler de ses visions célestes :
« Les visions que j’ai vues ce n’est ni en songe, ni dans le sommeil mais je les ai perçues étant éveillée, des yeux et de l’oreille de l’homme intérieur ».

Dans son premier livre Scivias « connaîs les voies », elle ne se contente pas de les contempler mais avec une grande énergie spirituelle, elle les explique théologiquement et les fait compléter par des illustrations. Avec une grande force de communication, elle transmet ce message, les images lui permettant d’accéder à tous, même aux plus pauvres. Elle accomplit des tournées de prédication au cœur de l’Europe et draine des foules par milliers sur les parvis des cathédrales.

Prophétesse, elle est sollicitée par des centaines de personnes pour des conseils spirituels aussi bien par la hiérarchie (le pape, les évêques, les rois et l’empereur) que d’autres personnes moins connues.
Femme libre face au pape et aux rois, elle ose s’exprimer avec fermeté. Une manière puissante de s’affirmer qui pourrait inspirer des femmes d’aujourd’hui !
Artiste, elle compose des musiques pour recréer l’harmonie perdue. Ses compositions nous apparaissent très contemporaines par leur visée thérapeutique et spirituelle. Moment de contemplation qui exprime l’émerveillement de l’homme devant la beauté de la création et la quête de l’Orient, le lieu de la lumière divine, source d’énergie vitale !

Victime dans sa chair de nombreuses épreuves de santé, elle prône une médecine naturelle et ses moniales bénéficient de ses conseils d’une alimentation naturelle et d’une éducation orientée vers l’art, le chant et la danse mais aussi la musique et la beauté des fêtes où les corps s’expriment aussi bien que l’esprit.
Elle nous invite à tisser des liens toujours plus forts avec la nature, établissant des correspondances entre l’homme et le cosmos.
Elle crée des jardins médicinaux, répertorie les plantes, les animaux ou les pierres dans de véritables encyclopédies privilégiant l’écriture poétique.
L’homme vibre à l’unisson avec le monde vivant et il s’agit de préserver l’équilibre du bien commun de la planète-terre par des comportements responsables. N’est-ce pas le message profond de l’écologie ?
 « …le feu, l’air, l’eau et la terre sont présents dans l’homme et c’est d’eux qu’il est formé » nous dit-elle dans un de ses livres (les causes et les remèdes).

Et l’on ne peut qu’évoquer ces éléments de la nature qui nous sont consubstantiels, rejoignant ainsi les grandes intuitions d’ Hildegarde !
Elle nous invite à célébrer les subtilités de la nature aussi bien par nos sens que par notre esprit. Comme l’arbre est nourri par la sève, de même l’homme doit rechercher dans la nature la viridité : force d’énergie vitale qui réchauffe notre corps et notre âme.

Parcourir les ouvrages d’ Hildegarde qu’il s’agisse de la ‘Médecine simple’ ou de la ‘Médecine composée’ offre ainsi l’immense variété de leçons de vie, sans parler de la dimension poétique de la nature, ne serait-ce qu’à travers les noms eux-mêmes : on passe de la véronique cressonnée à la potentille ou l’aigremoine, des noms que la poétesse Marie Noël égrenait avec ferveur dans ses chemins familiers…
La nature est toujours à découvrir et à redécouvrir dans ses valeurs et ses secrets. A lire les ouvrages médicinaux d’ Hildegarde, une part insoupçonnée de notre environnement nous est révélé avec ses trésors et ses bienfaits.

Une belle leçon d’écologie poétique !

Hildegarde dont le nom signifie « qui veille dans la bataille » ne baissa jamais la garde et ne cessa d’affirmer son autonomie de pensée dans un monde dominé par les hommes.
«Femme d’autorité, elle incarne une féminité puissante, très rare, qu’on peut encore lui envier » écrit Jacqueline Kelen.

Elle fonda 2 abbayes, mena à bien une œuvre musicale considérable, plusieurs projets de livres, influença son époque par son charisme exceptionnel et le courage de sa foi en Dieu. Responsable de l’éducation de nombreuses moniales, elle leur dispensa une éducation rigoureuse mais imprégnée de joies qui symphonisent  la vie.
M.S




Pierre Sentenac, Hommage à Hildegarde

13 septembre 2012

Sous les pas le chemin


M.S :
« C’est sous les pas que se forme le chemin »
écrit le regretté Antoni Tapiès en 1958 et ses écrits autant que ses œuvres sont pour toi une référence !

P.S :
Pour moi, la peinture est plurielle, comme lui j’ai pratiqué le dessin, le collage, et les résonnances de la musique m’ont toujours accompagné.
Comme lui, admirateur de l’ancienne civilisation chinoise, je crois à la nécessité d’une pratique de l’art dans un esprit de contemplation. Très imprégné des traditions des peintres chinois et japonais, je me suis formé progressivement à la technique des encres, tentant de concilier dans ma démarche l’esprit oriental et la spontanéité du geste souvent traduite par des artistes modernes dont les abstraits lyriques tels : Schneider, Hartung, Soulages, Mathieu et d’autres…

Il m’arrive parfois d’évoquer la fougue et la frénésie des gestes du peintre Mathieu sur de grandes toiles devant un public fasciné par sa rapidité d’exécution.

Cet acte de peindre a constitué très tôt pour moi une libération par rapport à des techniques picturales contraignantes et je suis toujours sensible à cette matière vivante, magique par la fraîcheur de l’expression, rejoignant ainsi la pensée de Gaston Bachelard à son propos :

« L’encre, par ses forces d’alchimique teinture, par sa vie colorante, peut faire un univers, si seulement elle trouve son rêveur »

Je suis donc resté « ce rêveur d’écriture » auquel tu fais allusion dans un de tes livres en évoquant Victor Ségalen. Comment ne pas regretter l’enfant passionné par la pureté de la ligne suivant les inflexions de la plume sur la blancheur du papier !

« En jouant…en jouant, quand nous sommes petits, nous apprenons à devenir grands. En jouant, nous disons des choses et nous en écoutons d’autres, nous réveillons celui qui s’est endormi, nous aidons à voir celui qui ne sait pas voir ou à qui on a bandé les yeux »
s’exprimait Tapiès devant des enfants.

Ainsi est-il primordial pour moi de saisir dans l’instant ce qui s’offre à moi d’une manière neuve à travers de multiples vibrations.
C’est parfois la monochromie d’un ciel où passe le nuage, moment d’éveil subit qui régénère notre regard et exacerbe la sensibilité.

                            « Nuage blanc
                                 Flamme de l’essentiel
                                     Où s’épure notre regard »

Quintessence du geste sur la page blanche.


                                


Pierre Sentenac  "Irisation-02/05" Encres/Arche




Pierre Sentenac  "Voiles-12/11" Encres/Arche