26 décembre 2013

Poulenc Soleil d’hiver


Nous fêtons en cette année 2013, le 50ème anniversaire de la mort de Francis Poulenc musicien poète.

Nous avions déjà signalé dans notre blog ses affinités avec Baudelaire, ses complicités rituelles avec la nature, l’esprit festif de la génération des années trente animées par une soif de culture universelle et de joie de vivre.
Il nous reste à explorer d’autres aspects de sa personnalité et de son œuvre.
Des critiques et, parfois le grand public, lui ont souvent reproché sa fantaisie et son goût du divertissement mais à ces reproches il opposait sa passion pour la poésie et les poètes.

Outre ses amis musiciens et son admiration pour Mozart qu’il considérait comme un dieu, pour les œuvres de Debussy, Stravinsky, Eric Satie et le groupe des six dont il faisait partie sous la férule de Cocteau, il voit souvent une jeune fille Raymonde Linossier qui joua un rôle majeur dans sa formation intellectuelle dès l’enfance. Grande lectrice, celle que Léon-Paul Fargue appelait « La violette noire » communiqua à son ami ses découvertes littéraires.
Un amour commun de la poésie les unissait. Et il n’oubliera jamais celle qui a enchanté sa jeunesse. Avec elle, il fréquente la librairie « Aux amis des livres » rue de l’Odéon, tenue par Adrienne Monnier. Tous les écrivains et poètes de valeur, tous ceux qui devaient compter dans l’entre-deux guerres viennent y lire leurs œuvres. C’est là qu’il rencontra André Breton, Louis Aragon et surtout Paul Eluard dont les poèmes livreront au musicien (quelques années plus tard) la clef de son lyrisme musical.

C’est à Paul Eluard qu’il demanda les paroles d’un « Soir de neige », œuvre grave et recueillie d’un lyrisme tout intérieur faisant référence à un évènement de l’année 1910 de son enfance. En effet l’hiver de 1910 lui apporte une révélation.
Replié à Fontainebleau avec ses parents, par suite des inondations qui font de Paris une nouvelle Venise, il découvre chez un marchand de musique « Le Voyage d’Hiver » de Schubert. Il joue et rejoue sans cesse Le Tilleul, Le Joueur de vielle et surtout le Soleil d’Hiver :
« J’avais tourné mon piano de telle sorte, écrit-il que, vers 4heures de l’après midi, je pouvais chanter cette mélodie en contemplant le Soleil qui, tel un rouge fromage de Hollande, flottait à travers les arbres de la forêt couverte de givre ».


Pierre Sentenac "Soleil d'hiver",1979, huile/bois,38x58cm


Sans doute, est-ce au soleil d’hiver que Poulenc dut la révélation de son destin de mélodiste. Mais c’est bien plus tard en 1937 que son œuvre mélodique s’enrichit d’une œuvre capitale sur les poèmes de Paul Eluard. Poulenc écrit à ce propos : « J’avais cherché des années la clef musicale de la poésie de Paul Eluard ».
Avec les 9 mélodies de « Tel jour telle nuit » la clef est trouvée.
La première mélodie « Bonne journée » rentre dans le cœur sans surprise celle d’une joie paisible où l’on rencontre « des femmes fugaces » dont les yeux font « une haie d’honneur », les beaux regards de ses amis qui participent à la réussite de cette journée.
« Lorsque je reste des semaines à travailler loin de Paris, c’est vraiment avec un cœur d’amoureux que je retrouve ma ville ». C’est ce cœur d’amoureux qui transparaît dans les mots d’Eluard en symbiose avec sa musique, sensualité légère et comme immatérielle des poèmes d’amour du poète.

Nous avons fait la nuit, je tiens ta main, je veille
Je te soutiens de toutes mes forces
Je grave sur un roc l’étoile de tes forces
Sillons profonds où la bonté de ton corps germera
Je me répète ta voix cachée ta voix publique
Je ris encore de l’orgueilleuse
Que tu traites comme une mendiante
Des forces que tu respectes des simples où tu te baignes
Et dans ma tête qui se met doucement d’accord avec la tienne
[avec la nuit]
Je m’émerveille de l’inconnue que tu deviens
Une inconnue semblable à toi semblable à tout ce que j’aime
Qui est toujours nouveau.

D’autres poètes escorteront sa musique tels Robert Desnos, Max Jacob et bien d’autres…mais Apollinaire est aussi un de ses élus.
Avec lui, il célèbre le Paris nocturne et populaire, les flâneries le long des boulevards mais surtout « la Grenouillère », mélodie qui suggère un beau passé perdu, des dimanches heureux, les déjeuners au bord de l’eau chers à Renoir et que les peintres impressionnistes ont peint avec une fraîcheur inimitable…
Mélodiste dans l’âme, le musicien entreprend des tournées avec le chanteur Bernac et sa collaboration avec Apollinaire est prégnante surtout avec les « Calligrammes ». dans son « Journal de mes mélodies » il exprime sa préférence pour les poèmes courts :
« J’ai toujours aimé la taille de timbre-poste d’un ‘Poème’ et du ‘Pont’  qui suggèrent avec si peu de mots un grand silence et un grand vide ».

Il se remémore avec mélancolie ses promenades avec Raymond Radiguet au bord de la Marne de son enfance, à Nogent, où les jeunes gens se retrouvaient aux environs de leur vingtième année, reprenant le recueil des poèmes de son ami :
« Les jours en feu » et « Paul et Virginie ».
« Ces quelques vers de Radiguet ont toujours eu pour moi une saveur magique » écrit-il.

Sa sympathie pour les poètes et son enthousiasme pour leurs œuvres ne se sont jamais démenties, sa musique leur rendant hommage au gré de son inspiration. Avec une aisance naturelle, Paul Eluard n’oubliera pas de célébrer ses mélodies avec simplicité.

Francis je ne m’écoutais pas
Francis je te dois de m’entendre
Sur une route toute blanche
Dans un immense paysage
Où la lumière se retrempe

La nuit n’y a plus de racines
L’ombre est derrière les miroirs
Francis nous rêvons d’étendue
Comme un enfant de jeux sans fin
Dans un paysage étoilé

Qui ne reflète que jeunesse.
M.S

Nota bene :

1) _ La référence du précédent article sur Francis Poulenc
« De la couleur et de la lumière »
a été publié sur ce blog, le 28/01/2012.

 2) _ Références musicales relatives à cet article :

Mélodies, enregistrement intégral avec les voix de :
E. Ameling, G. Souzay, N. Gedda, M. Sénéchal, W. Parker.
Piano: Dalton Baldwin
Disques : EMI VSM C165-16231/35 (5disques)
 



15 décembre 2013

Conte de Noël III

 


Le Faiseur de pluie


Chaque fois que la petite pochette d’Albert Pétral apparaissait sur le petit écran de la télévision, elle ne pouvait s’empêcher d’être mécontente.
A cause de lui, l’après-midi du mercredi serait encore ratée.
_ « Cet Albert Pétral, il amène toujours la pluie… les mauvais nuages ça le connaît, un vrai faiseur de pluie, un vrai rabat-joie ! ».
Encore aujourd’hui, il arbore triomphalement sa pochette verte et son rire est extrêmement déplaisant. C’est un peu comme le génie malfaisant des contes de fée. Au premier coup d’œil, il a l’air sympathique, puis, petit à petit, on découvre qu’il cache bien son jeu.
_ « Un malin, celui-là ; un hypocrite qui nous raconte tout le temps des boniments pour mieux vous endormir ! »
Sa mère n’a pas l’air de s’en apercevoir. Aucune grande personne d’ailleurs. Les parents regardent tranquillement la scène sans se rendre compte qu’il est en train de les tromper et de leur préparer encore un vrai mauvais temps.
_ « C’est drôle comme les parents sont peu clairvoyants. Ils n’arrêtent pas de vous faire des recommandations, du genre : Si tu montes sur cette chaise, tu vas te faire mal… à l’école, travaille… dans la rue fais attention… mais eux, par contre, on a envie de leur dire : Méfiez-vous de ce sorcier ! ».
De tout cela, Claire en avait déjà fait part à sa meilleure amie. Et, à son grand dépit, celle-ci n’avait pas paru inquiète.
_ « Tant pis pour elle. Elle sera prévenue ! ».
Pour la première fois de sa vie, Claire sentait confusément que personne ne lui faisait confiance. Certes, on l’écoutait poliment, mais sans plus… seul, son frère paraissait au courant :
_ « Celui-là, disait-il, un vrai faiseur de poisse ! »
Et lorsque Claire essayait de le persuader qu’il fallait lui écrire, tenter de l’amadouer, Sébastien haussait les épaules en lui disant :
_ « Les filles, vous radotez toutes ! »
Si bien que Claire était toute seule pour porter son lourd secret… un homme fourbe leur jouait constamment des tours et tout le monde se laissait faire. Peut-être la maîtresse serait-elle plus compréhensive ?
Mais Claire n’osait pas lui en parler. Sa mère finirait par l’apprendre et la gronderait. C’est pourquoi, ce soir Claire essaye d’oublier et, en petite fille modèle, range sa chambre, fait son lit et prépare son cartable pour le lendemain. Elle se couche et s’endort immédiatement… mais voilà qu’une voix mielleuse l’atteint dans son sommeil :
_ « Claire, je te promets que demain il fera beau. Tu pourras aller jouer au jardin public. »
Et soudain, là, devant elle, près de la fenêtre, Albert Pétral en personne, avec sa fameuse pochette rose, et qui la regarde en souriant. Claire apeurée, met son coussin sur la tête pour ne pas le voir et pleure tant que la pluie se met à tomber pour de bon jusque dans son lit. Elle grelotte et se sent complètement trempée.
_ « Maman, Maman, il veut me rendre malade. Maman, chasse le faiseur de pluie ! ».
Une main bienfaisante caresse son front et la rassure doucement :
_ « Ce n’est rien Claire, demain il fera beau. »
_ « Tant mieux, dit Claire, en se rendormant. Je l’ai échappé belle ! »

M.S


Pierre Sentenac     'Le faiseur de pluie'




Livre:

Ce texte fait référence au livre de Michèle Serre
"Sous l'Arbre & le faiseur de pluie"
illustrations de Pierre Sentenac





( Livres d’artiste de Collection, cousu main, couverture Moulin Laroque, papier moulin ou vergé:
tirages 100 exemplaires numérotés, prix: 13Euros )






20 novembre 2013

Revivre par les mots


Revivre par les mots, telle est encore la révélation des poètes, fidèles à une quête existentielle d’un trésor invisible et universel, hors des routes tracées à l’avance et des sentiers battus.

Moments rares d’un infini silence mais pour toute une vie !

Sans souci de gloire à faire étinceler ou de subsides à partager, la poésie s’offre à nous dans sa fraîcheur de source et son extrême dénuement…

N’est-ce pas là sa vocation première et ultime dans le monde de bruits et de fureur des mots où nous baignons ? Ainsi peut-elle nous surprendre par sa gratuité et sa rareté loin « des bruits du temps » évoqués dans son œuvre par le poète russe Ossip Mandelstam.

« Face au siècle loup garou et aux lâches » et à l’image du poète François Villon, dont il revendiquait la noble légitimité, il élevait avec force la protestation du poème.

Dans notre monde contemporain la poésie, cette langue souvent dévalorisée et considérée la plupart du temps comme une langue morte, ne cesse de nous interpeller.

Elle nous visite parfois, à la dérobée, poésie cachée qui voudrait émerger secrètement dans nos vies. Parfois elle éclate en nous « dans une déferlante » que nous n’espérions plus et les couleurs des mots font un étrange paysage dans nos cœurs meurtris !

Voyageur mystérieux dans une terre souvent inhospitalière, que ferions-nous sans elle ?

Chacun y est merveilleusement soi et, merveille plus grande, pas seulement soi mais en fraternité avec tous les poètes et artistes qui, au cours de âges, ont su prendre le large pour des horizons plus libres.
M.S


Pierre Sentenac 'Couleurs des mots'











Livre:
Ce texte fait référence au livre de Michèle Serre
"Ossip Mandelstam
    un poète habité"
illustrations de Pierre Sentenac

est disponible aux éditions Le Bien-Vivre: 
Pour commander cet ouvrage contacter l'adresse mail:  lbvmps@outlook.fr    
( Livres d’artiste de Collection, cousu main, couverture Moulin Laroque, papier moulin ou vergé:
tirages 100 exemplaires numérotés, prix: 18Euros )


Pour un commentaire cliquer sur l’enveloppe ci-dessous.











28 octobre 2013

Portrait d’un rêveur


Fuyant les grappes de touristes qui s'agglutinaient devant certaines toiles, il s'isola près d'un tableau moins regardé que les autres, moins commenté, moins aimé peut-être.

C'était _L' Assemblée dans un parc_ qu'aucun amoureux du XVIII ème siècle ne peut regarder sans frémir et ses yeux se noyaient lentement dans la draperie du manteau de la femme qui l'obsédait depuis si longtemps. Enfant, il avait déjà la spécialité de se perdre pendant de longs instants dans ces plis de silence qui orchestraient si parfaitement ses interminables rêveries.
Le pli du vêtement n'est jamais innocent. Il invite à la rêverie, à la pause ou crée la surprise et il ondule dans nos vies si calmes: navire sensuel pour nos corps immobiles...

A force de regarder le manteau, il eut conscience de la présence de la femme derrière lui. Il se retourna pour lui parler de ces drapés qui lui tenaient tant à coeur. Mais elle ne comprit pas ces préoccupations; il fut saisi par son regard avide, à la recherche d'un au-delà qui fuyait dans les silhouettes floues des personnages. Cela lui suffit. Il n'était plus seul mais ressentit la douleur aiguë d'une séparation prochaine.
Car, à présent, à l'instar du personnage féminin des fêtes galantes, elle lui tournait le dos et s'éloignait sans bruit...

_ "Cela vous plaît-il?"

Une voix très grave parvenait jusqu'à lui comme à travers d'épais nuages.
Agréablement surpris, il se retourna mais de toute évidence, la voix appartenait à une jeune fille plutôt garçonne, les cheveux coupés court autour de son visage rond, vêtue de jeans (tenue qu'il abhorrait entre toutes).

_ "L'uniforme de notre époque!" se dit-il.

Il haussa les épaules et répondit du bout des lèvres. En quoi, cela pouvait-il la concerner? Redescendre sur terre lui était déjà bien difficile et sa présence ne faisait qu'augmenter sa déception.
Dommage pour sa voix! si peu stéréotypée, si chaleureuse, comme modulée par des siècles de silence!...

Quand il sortit du musée, il se dépêcha de rentrer chez lui pour changer de vêtements.
Il dîna d'un repas froid peu élaboré, se lava et se rasa de près. En touchant sa peau devenue si douce, il ne put s'empêcher de murmurer une publicité. C'était toujours comme ça! De grandes envolées: le musée, le concert et puis le hiatus avec la vie platement quotidienne.
L'esprit hanté par une vision d'outre-ciel, il s'était soudain trouvé avec une femme dont il n'avait pas désiré l'intrusion dans sa vie privée. Que diable faisait-elle à côté de lui?
Il ne regretta pas de l'avoir ignorée. Les filles d'aujourd'hui sont si mal élevées. Rien à voir avec la femme des "Fêtes galantes" et, presque religieusement, il mit un disque, comme pour prolonger l'envoûtement.
Merveilleuse musique de Rameau ! Le phrasé harmonieux réveillait en lui une foule de sensations heureuses et comme éthérées, si près des eaux troublantes de Watteau... Pourquoi ces deux personnages hors du commun ne s'étaient-ils jamais rencontrés? Le miroir en face de lui bougea et il s'endormit...
On pouvait toujours rêver de rencontres hasardeuses!

Extrait de « L’Assemblée dans un parc »




Pierre Sentenac  "L'Assemblée dans un parc" 1990




Livre:

Cette Nouvelle est extraite d'une publication de 2 Nouvelles de Michèle Serre
"L'Assemblée dans un parc"
"Portraits d'artistes"
illustration de Pierre Sentenac



Livre disponible aux éditions Le Bien-Vivre: 

Pour commander cet ouvrage contacter l'adresse mail:  lbvmps@outlook.fr   
( Livres d’artiste de Collection, cousu main, couverture Moulin Laroque, papier moulin ou vergé:
tirages 100 exemplaires numérotés, prix: 15Euros )


Nota Bene:

Les illustrations ont été effectuées directement à partir des Logiciels des années 90.
Ceux-ci n'existant plus actuellement ces images ont valeur d'oeuvres originales
Comme des gravures actuelles!



Pour un commentaire cliquer sur l’enveloppe ci-dessous.


16 octobre 2013

Camus le Méditerranéen


« J’ai toujours eu l’impression de vivre en haute mer, menacé, au cœur d’un bonheur royal »

Je ne connais pas de phrase qui définisse aussi bien à la fois Camus et la condition humaine dans toute sa noblesse !

En haute mer, il y a vécu et il n’y a qu’à écouter sa voix dans « Retour à Tipasa » pour savourer avec lui la joie unique que procure la vie à la lumière des paysages méditerranéens. Mais il aurait pu se contenter de vivre sur la colline ou même de s’y endormir… alors qu’une fois la lumière conquise il retourne aux servitudes du temps.

« Je redécouvrais à Tipasa qu’il fallait garder intactes en soi une fraîcheur,
  une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice,
  et retourner au combat avec cette lumière conquise. »

Existe-t-il un courage plus vrai que cette détermination tranquille, une sérénité plus grande que celle qui conduit à l’engagement et au dynamisme ?

On a tellement parlé de l’absurde que je ne veux pas tenter de le définir.

Comment ne pas se souvenir de certains matins gris où dégoûtés de tout nous nous débattions avec l’ombre géante ? A quoi bon lutter ? A quoi bon vivre ? Nous serions alors tentés de nous enliser dans les ténèbres jusqu’à nous confondre avec elles …
Mais soudain, il y a une onde bienfaisante qui vient rafraîchir notre cœur, une promesse, une joie, une tendresse… à nous de l’accepter dans sa plénitude et de la garder en nous comme une eau vive !

C’est là ce que me dit Camus, et j’accueille avec gratitude l’espoir qui se reflète dans la vague qui fuit, car existe-t-il d’autres formes d’espoir, sinon cette fragilité d’écume porteuse d’infini?




Pierre Sentenac   A chaque Vague... 16/10/2013


                                   A chaque vague une promesse
                                            Dans la mer tous les rêves de la terre
                                            Se mettent à vivre !
M.S

4 octobre 2013

Les Couleurs de la Confiture


Le bleu triomphal dans la Bacchanale de la Joueuse de luth de Poussin
le bleu du ciel si limpide dans les paysages de Karen Blixen
le bleu d’Yves Klein lumineux et froid
comme un glacier en hiver

Mais qu’en est-il de la couleur des confitures ?
Par quelle magie dorment-elles dans les replis de l’enfance
ou de la terre qui a bercé les fruits ?

Par quelle alchimie le bleu des myrtilles
se teinte-t-il de violet comme si l’alliance du mouvement de l’eau
et du feu éclatait soudain ?

Chaque saison amène des couleurs et des bonheurs différents.
En automne je suis toujours surprise par la cueillette des coings, ce fruit devenu plus rare dans nos régions car les haies où l’arbre se hissait naturellement, le ruisseau où il reprenait des forces après les chaleurs de l’été, sont des images qui tendent à s’effacer de nos paysages. Et l’odeur subtile des coings n’a rien à voir avec l’odeur des pommes qui envahissent les jardins et les champs… ne parlons pas des néfliers moins familiers pour les citadins, son goût âcre marié au goût sucré des kakis me ravissait, se mêlant harmonieusement à mes jeux trop peu nombreux à mon gré.
Mais revenons aux confitures !
Aujourd’hui j’ai repris le flambeau de sa fabrication comme si l’achat d’un pot de confiture ne suffisait pas à nous rendre les saveurs d’autrefois. Il y a pourtant des contraintes que je ne saurais nier. D’abord réunir les ustensiles remisés au fond des armoires : la bassine en cuivre toujours aussi indispensable et puis les pots transparents qu’il faut aligner, nettoyer et essuyer méticuleusement. Eplucher les coings dont la peau est dure et bosselée suppose des gestes précis, les couper une grande force. C’est le travail d’un homme autant que possible et puis l’ajout de l’eau, du sucre, l’alchimie de la cuisson, le rangement des pots bien alignés sur les étagères souvent inaccessibles aux petites tailles. Les regarder avec fierté est tout simplement jubilatoire !
Enfants nous n’avions pas le droit de manger la confiture rapidement et cette attente paraissait insupportable. Ce n’est qu’au début de l’hiver que ce privilège nous était enfin octroyé.
Je me souviens avec nostalgie de l’ouverture du premier pot, de la découverte de la couleur et de la texture de la confiture. Et ce qui nous surprenait au plus haut point c’était la couleur rouge de la confiture que nous étalions avec délice sur les tartines. Par quel mystère le jaune des coings avait-il viré au rouge, ce rouge que j’ai vainement cherché pendant des années et que je retrouve un peu aujourd’hui car les fruits de ce cognassier (que mon père avait planté dans le jardin et que nous avons retrouvé tout à fait par hasard) offrit à cette confiture une teinte rouge un peu mordorée, mais pas tout à fait celle de l’enfance où les sauterelles bleues volaient avec légèreté dans le soleil !

Michèle Serre


Pierre Sentenac Couleurs de la confiture 04/10/13

6 septembre 2013

Propos sur "Orgueil & Préjugés"


Il est de bon ton d’admettre comme une vérité qu’un roman porté à l’écran perd de sa force et dessert l’œuvre littéraire. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Certains écrivains n’ont été connus que grâce à la sortie d’un grand film. J’en veux pour preuve l’intérêt suscité par le film : « Le docteur Jivago » révélant au monde entier le poète russe Boris Pasternak et permettant ainsi une connaissance plus large de son œuvre.
Le film de Simon Langton : « Orgueil & préjugés » réalisé par la BBC en 1995, n’échappe pas à ce phénomène et a suscité un véritable engouement et une volonté de mieux connaître la romancière anglaise Jane Austen au-delà de la somptuosité des images.
« Orgueil & préjugés » ressuscite pour nous un mode de vie séduisant et sans doute idéalisé de la société anglaise à la fin du XVIIIème siècle. Dans le cadre d’une campagne provinciale du sud-ouest de l’Angleterre, le Hampshire aux paysages bucoliques, vit une famille unie dont le mode de vie peut attirer certains de nos contemporains. Un mode de vie simple mais confortable, une proximité avec la nature ont marqué durablement Jane petite fille et sa sœur aînée Cassandra. Comme ses héroïnes Jane aimait à rouler dans l’herbe, grimper aux arbres, battre la campagne et n’hésitait pas, en bravant les bienséances, à se crotter les vêtements !
Il y a aussi les conversations familiales et surtout la lecture, la bibliothèque paternelle remarquablement fournie à laquelle les enfants ont accès sans aucune restriction. Jane lit beaucoup, même les romans de bibliothèques circulantes de prêt qui venaient d’être inventées et on lisait à haute voix après le dîner.
Pour Jane la passion d’écrire commence très tôt dès l’âge de 7 ans et le cercle de famille constitue ses premiers lecteurs. Cassandra préfère le dessin et le seul portrait de Jane à notre disposition est un portrait croqué par Cassandra. Toutes ces activités et ces échanges nombreux agrémentent les longues soirées d’hiver. Aux plaisirs du théâtre amateur, aux longues promenades s’ajoutèrent très tôt ceux de la danse, part importante de la vie sociale de Steventon et des villages avoisinants. Pour cette classe de la petite bourgeoisie les bals donnaient à tous l’occasion de se réunir. Jusqu’à la fin de sa vie (malheureusement bien courte à nos yeux) Jane aima passionnément la campagne et la danse.
Son grand déchirement fut sans doute de quitter ce havre de paix lorsque son père décida brusquement de se retirer de ses fonctions de clergyman et d’abandonner Steventon pour la vie urbaine et élégante de Bath, lieu de villégiature à la mode que Jane n’aimait pas et où se sont taris pendant dix ans les débuts prometteurs de sa création l’orientant inexorablement vers une vie matrimoniale souhaitable, destin commun de toutes les femmes de son époque…
C’est à son retour dans le Hampshire avec sa mère et sa sœur qu’elle renouera dans la solitude avec son inspiration, affrontant avec courage des conditions de vie très difficiles (les revenus alloués par les frères s’avérant trop fluctuants et ne permettant pas de faire face sereinement aux dépenses). Le choix de Jane de se consacrer à l’écriture, refusant un mariage qui aurait pu leur amener une vie plus confortable, témoigne pour l’époque d’une grande liberté. Compagne fidèle de sa sœur, Cassandra n’ignore pas ses scrupules et l’encourage jusqu’à la fin avec ferveur dans la voie de sa création.
« Mieux vaut tout sauf un mariage raté » disait Jane incluant Cassandra dans sa conviction. En effet Cassandra s’était retirée du monde à la suite de la mort de son fiancé à St Domingue !
Sous son influence Jane a-t-elle renoncé définitivement à l’amour pour se consacrer à sa création ?
Ses personnages ne sont que des personnages fictifs ! Elle insistait là-dessus mais pour nous, ils vivent parfois en chair et en os, brûlants du feu de l’amour et de la tendresse.
« Ils sont mes enfants bien-aimés et je les envoie dans le monde » disait-elle.
Et les deux sœurs « d’Orgueil & préjugés » revivent pour nous au-delà du temps…
Vive et enjouée Elisabeth Bennet rejoint souvent sa sœur pour échanger sur les menus incidents du quotidien, sur la famille mais aussi sur leur sujet de prédilection : l’amour et le mariage.
Elisabeth est déterminée à se marier par amour et à construire son bonheur sans tenir compte de sa famille ou de quiconque, une liberté qu’elle s’octroie en refusant la demande en mariage du clergyman Collins (au grand désespoir de la grande marieuse qu’est sa mère !)
Jane plus réservée que sa sœur est une oreille attentive aux interrogations et aux dires parfois espiègles de sa sœur !

Ainsi vont les rêves de rire et de larmes…

Merci Jane Austen

Michèle Serre



Pierre Sentenac, "Les 2cousines" d'après A.Watteau


Nota Bene:

DVD conseillé BBC , Koba films, 2dvd , "Orgueil & Préjugés"
avec Jennifer Ehle & Colin Firth