28 janvier 2012

De la couleur et de la musique


« Supposons un bel espace de nature où tout verdoie, rougeoie, poudroie et chatoie en pleine liberté, où toutes choses, changées de seconde en seconde par le déplacement de l’ombre et de la lumière et agitées par le travail intérieur du calorique, se trouvent en perpétuelle vibration, laquelle fait trembler les lignes et complète la loi du mouvement éternel et universel…
La sève monte et, mélange de principes, elle s’épanouit en tons mélangés…
Les ombres se déplacent lentement et font fuir devant elle ou éteignent les tons à mesure que la lumière, en veut faire résonner de nouveau. Ceux-ci se renvoient leurs reflets, et, modifiant leurs qualités en les glaçant de qualités transparentes et empruntées, multiplient à l’infini leurs mariages mélodieux.
Quand le grand foyer descend dans les eaux, de rouges fanfares s’élancent de tous côtés, une sanglante harmonie éclate à l’horizon et le vert s’empourpre richement. Mais bientôt de vastes ombres bleues chassent en cadence devant elles la foule de tons orangés et rose tendre qui sont comme l’écho lointain et affaibli de la lumière.
Cette grande symphonie du jour, qui est l’éternelle variation de la symphonie d’hier, cette succession de mélodies où la variété sort toujours de l’infini, cet hymne compliqué s’appelle la couleur.
On trouve dans la couleur l’harmonie, la mélodie et le contre-point. »



 Pierre Sentenac, illustration "La traversée des lumières"


Ce très beau texte de Baudelaire fait résonner en nous des musiques qui célèbrent la renaissance de la nature, ses métamorphoses dans le prisme des couleurs dont l’œil humain peine à en discerner les nuances… Mais parfois, à certains moments de plénitude, les sonorités des instruments, les oppositions rythmiques nous font pressentir une infinité de sensations et de sentiments. Il arrive même que nous ressentions l’esprit d’une époque, la couleur particulière des atmosphères contrastées nous permettant de l’appréhender intuitivement !
Ainsi dans le « Concert champêtre » de Francis Poulenc , c’est l’évocation des années 1930 ; on quitte la noirceur d’une guerre meurtrière et l’ambiance grise des banlieues pour Ermenonville où les musiciens, les peintres et les poètes se retrouvent dans une partie de campagne et dans ce tableau vivant la musique nous plonge dans une joie de vivre spontanée, sublimée par les instruments à vents et l’esprit des « Rêveries du promeneur solitaire » de Jean-Jacques Rousseau.
Les résurgences de la musique baroque se marient avec des variations modernes tempérées par les touches légères du clavecin… Instants de grâce et de respiration !
Dans cette orchestration originale des inspirations russes (peut-être sous l’influence de Stravinsky) suggèrent avec fantaisie la féerie et les luxuriances de l’orient.
Ce mélange de styles traduit bien la liesse et le foisonnement d’une époque dont la soif de vivre explosait avec une fraîcheur une effervescence et une fougue rarement égalées.
C’est le privilège de la musique de nous restituer grâce au Concert champêtre de Francis Poulenc, une époque avec ses couleurs si particulières !   
Michèle Serre





"La traversée des lumières" de Michèle Serre
illustration de Pierre Sentenac

( Livres d’artiste de Collection, cousu main, couverture Moulin Laroque, papier moulin ou vergé:
tirages 100 exemplaires numérotés, prix: 19Euros )



Compléments:

 Texte de Baudelaire, extrait des "Curiosités esthétiques"

 Référence musicale:

FRANCIS POULENC
CONCERT CHAMPÊTRE pour clavecin & orchestre
Aimé Van de Wiele (clavecin)
Orchestre de la société des concerts du conservatoire dirigé par
GEORGE PRÊTRE  
Disque 33tours La voix de son maître FALP 737 (années 1960)



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