8 février 2014

La Sainte Victoire de Cézanne


La montagne Sainte-Victoire exerce sur nous une fascination durable ne serait-ce que par sa dénomination symbole de force et de gloire !
Le peintre Cézanne n’échappa pas à cet attachement mystérieux qui le poussa à la représenter obsessionnellement dans la diversité des saisons et aux différentes heures du jour et ce, depuis l’adolescence.
Collégien et bon marcheur, il a parcouru avec Emile Zola et quelques camarades toutes les garrigues du pays d’Aix, particulièrement celles qui conduisent à la Sainte-Victoire.
Cette roche tertiaire signifiait pour lui la suprématie de l’ordre romain sur le désordre barbare, une tradition séculaire témoin de la victoire de Marius sur les Cimbres et les Teutons en 101 avant JC. N’oublions pas que Cézanne était un fervent latiniste s’essayant même à la versification latine !
Dans une lettre à Emile Zola il écrivait le 14 avril 1878 :
« En passant par le chemin de fer près de la campagne d’Alexis, un motif étourdissant se développe du côté du levant : Sainte-Victoire et les rochers qui dominent Beaurecueil, j’ai dit, quel beau motif »
Ainsi ce coup de foudre constitua une invitation au voyage et un appel à rentrer en peinture. La symphonie des couleurs et la puissance des vents déclenchent en lui un souffle poétique qui nourrira sa création picturale.
Bien d’autres que lui ont révélé les lignes et les clartés qu’un soleil couchant jette sur cet éperon rocheux mais pour Cézanne il s’agit avant tout d’une confrontation avec la montagne lointaine, confrontation absolue qu’il poursuivra inlassablement mû par une sorte de délire mystique :
« Je travaille opiniâtrement, j’entrevois la Terre promise. Serai-je comme le grand chef des Hébreux ou bien pourrai-je y pénétrer ? »
Aix Janvier 1903
La nature est pour lui une question de rapport. Conscient de la complexité du travail pour la restituer dans sa vérité, il faut se mettre en sa présence et parfois le rêve prend le relais du corps ! Alors la Sainte-Victoire montagne présente et absente à la fois, lumière et ténèbre, ciel et terre dans le même instant s’offrent dans une sorte d’éblouissement. Cézanne voulait mourir un pinceau à la main et il fut exaucé ! Dès qu’il prend en compte la Sainte-Victoire, il ne la lâchera plus, jusqu’à peindre un jour d’orage du côté des Lauves et décéder deux jours après d’une congestion pulmonaire.
Dans ses derniers tableaux les chemins s’effacent progressivement, les lignes se perdent à l’horizon vers une montagne mythique sorte de halo de lumière dont le magnétisme baigne les sens et le cœur.
En ses derniers paysages le peintre franchit encore une étape, dépassant la simplification géométrique des plans et des lignes, sa peinture devient un chaos irisé, valeurs colorées et subtiles qui se perdent dans la vibration universelle des énergies cosmiques !
Evoquant l’ascendant que la Sainte-Victoire a représenté pour elle au cours de ses promenades dans les garrigues d’Aix, l’écrivain Jacqueline de Romilly la compare à une image de l’éternité. N’est-ce pas ainsi que Cézanne nous la restitue dans sa magnificence et son étrange beauté ?
A mesure qu’il exploite le motif de la Sainte-Victoire _ il y est revenu une soixantaine de fois _ la ligne mélodique est de plus en plus discrète et c’est la sensation colorante qui est le truchement de cette transfiguration. La couleur déborde de la forme imprégnant subtilement les couleurs voisines, créant ainsi une atmosphère d’échanges subtils, de relations chromatiques, de passages et de contrastes.
Soucieux de traduire intemporellement la profondeur de la nature, Cézanne célèbre les vibrations de la lumière à travers les couleurs primaires modulées harmonieusement par « une somme de bleutés pour nous faire sentir l’air ».

Image vivante de l’éternité de la Sainte-Victoire.
Michèle Serre


Pierre Sentenac  'Hommage à Cézanne' Aquarelles/Arche-24x32cms-fév.2014





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