1 mai 2013

Rencontre avec St Exupéry I


Rencontre… ce mot est bien galvaudé aujourd’hui, si bien qu’il est difficile de l’employer…
Pourtant il est pour moi riche de sens et d’amour, surtout aujourd’hui où nous croisons tellement de gens sans vraiment les rencontrer.
« Les gens sont partout comme dans une gare… », écrit quelque part Katherine Mansfield ; il me semble que ceci est très significatif de ce que nous vivons.

Alors comment doit-on parler aux hommes, que faut-il leur dire ? Cette angoisse je l’ai senti frémir dans toute l’œuvre de St Exupéry. Il a eu le souci primordial de répondre aux besoins de son époque (ou à défaut de les susciter !) car « les hommes ont tellement besoin d’un dieu » sans en prendre toujours conscience. Ce dieu, il prend un chemin différent pour venir à nous et pour s’imposer avec évidence. Il a nom justice et amour; peu importe d’ailleurs le visage qu’il nous offre, l’essentiel c’est qu’il nous fasse sortir de l’ornière où nous risquerions de nous enfoncer béatement.

J’ai été toujours bouleversée par le fait qu’il soit donné à un homme de nous révéler la richesse d’un dieu… St Exupéry, je l’ai rencontré aux périodes difficiles de mon adolescence mais je ne l’ai jamais renié, je suis toujours sensible à la simplicité monacale de sa poésie et puis son œuvre a éveillé en moi tant de choses !

J’avais lu « Courrier Sud », « Vol de Nuit », « Pilote de Guerre », et j’avais été conquise par la grandeur sans fanatisme du personnage.
Quand au « Petit Prince », je l’avais lu avec intérêt mais il ne me faisait pas vibrer d’émotion. Il fallut l’expérience mystérieuse de l’amitié d’abord offerte et puis perdue pour qu’il devienne silencieusement mon ami. Il m’enseigna que l’amitié n’est pas qu’un don et le symbole de la fleur me fit comprendre que ce sentiment réclamait beaucoup de soin et d’amour. Pour s’épanouir elle avait besoin de nos cœurs émerveillés et attentifs !
J’appris ainsi des mots très oubliés maintenant : la délicatesse toujours prévenante, la valeur d’un sourire, le sens des gestes les plus simples en apparence.

Et lorsque moi aussi, je me rendis compte que cette amie que j’admirais, était finalement comme tout le monde, je me souviens que je pleurais d’émotion en lisant cette simple phrase : « Et couché dans l’herbe, il pleura… » ; cette phrase n’a jamais cessé de m’émouvoir, elle fait encore lever en moi tout un sortilège de souffrances et d’amours inapaisées…

Et puis, l’amie est partie ; ce ne fut pas une séparation déchirante, mais lentement, l’absence l’a consommée. Finies les longues conversations enivrantes où l’avenir se nuançait de gloire… où étaient les promesses qui affolaient nos jeunes cœurs ? Le vieux collège avait désormais perdu ses couleurs printanières, et « ce jamais plus » dont on pressentait confusément l’existence certains beaux soirs d’été où nous pleurions de nostalgie inavouée, voilà que nous savions le poids de son secret !
Les années ont passé et j’ai enfin compris certaines paroles du « Petit Prince » :
« Va revoir les roses et tu comprendras que la tienne est unique au monde. »

Je n’ai jamais revu Elise ; mais un jour j’ai brusquement cessé de lui en vouloir. Les souvenirs montaient en moi, bruissants de vie et de chaleur… et je n’ai pas pu faire autrement que de les accueillir. Depuis, l’écolière est toujours assise à côté de moi et le vieux banc qui abritait nos fous rires inextinguibles, présent à ma mémoire heureuse.
C’est peut-être cela parfois la fidélité, non pas un grand sentiment mais l’humilité de se dire que le trésor existe toujours dans nos cœurs.

M.S


Pierre Sentenac  Encres/canson 02/2010

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