Cette vague de printemps qui reflue en nous, passage éphémère du souffle de la poésie…
Je la pressens à travers tout mon corps : une
émotion légère, subtile, qui me surprend dans le regard que je porte sur les
œuvres picturales d’Eugène Boudin, cet artiste autodidacte que le
peintre Corot, son aîné qualifia de ‘roi du ciel’…
Corot, le peintre des paysages que Boudin considéra au début de sa carrière artistique comme un maître !
En effet, ce papetier de profession
choisit cette voie difficile d’abord à Trouville
et Honfleur dont il était originaire, ‘croquant’
avec un talent naturel les spectacles des ports et la vie des scènes des plages
qui s’offraient à lui…
Mais très vite, il choisit de
quitter ces pauvres ports abandonnés par la lente marche des voiliers et
industrialisés par les machines à vapeur et l’effervescence des quais,
choisissant de se concentrer sur ce spectacle naturel :
le ciel, la mer…
« Il nous reste encore le
ciel que personne ne peut abîmer, pas même la fumée rance des vapeurs…
et la mer si fraîche et si vivante. »
Le ciel tel une ombre bleue s’étire
entre deux infinis…
Subjugué par cet « aplat d’éternité », il rêve d’une toile bordée
d’éternité…
Baudelaire est séduit par ses études au pastel, ses
improvisations « chacune portant
écrit en marge, la date, l’heure et le vent… », improvisation qui le rend
précurseur des impressionnistes !
Ayant abandonné sa profession de
papetier et d’encadreur, le peintre avait choisi tardivement la carrière
artistique, travaillant ‘sur le motif’, loin de tout académisme.
Avide des spectacles de la
nature : l’eau, le ciel, la mer
constituèrent son horizon familier,
approfondissant son regard selon les heures et les saisons, voyageant avec les
nuages, les merveilleux nuages, pénétrant les brumes humides et légères qui
cristallisent les couleurs et le lumière qui se fraie des chemins parfois
féériques dans ses paysages préférés…
métamorphoses qui s’éveillent sous
le regard complice de l’artiste, poète à ses heures…
Rêveur, son inspiration le porte toujours à préférer les rivages où il trouve
à certaines heures un peu de silence et de solitude « et les voix plus monotones mais aussi plus
poétiques des éléments naturels, l’odeur de l’algue marine, la fraîcheur de
l’humidité saline de nos grèves. »
Comme Flaubert il s’immerge dans le microcosme de la Normandie (leur lieu de
prédilection) afin d’en extraire toutes les essences…
Parfois des notations
météorologiques le guident dans son travail pour déceler les particularités
géographiques et physiques du paysage.
C’est l’atmosphère d’un lieu à un
moment donné qui imprègne ses œuvres parfois spontanées : les réverbérations et reflets, ponctués par les
vibrations colorées !
Il peint avec passion et tente de
traquer avec ses pinceaux et ses brosses l’instant crucial où la lumière se
perd dans les gouttelettes d’eau qui saturent progressivement le paysage gagné
par les brumes grises et légèrement bleutées…
Et parfois, l’horizon embrasé devient, comme par magie, un monde surnaturel.
Pour Baudelaire, déjà cité, le monde où nous introduit Boudin ‘son contemporain’
nous éloigne d’une morne réalité et
son enthousiasme est profond.
Il écrit notamment : « Tous ces nuages aux formes fantastiques et
lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, toutes ces
profondeurs, toutes ces splendeurs me montèrent au cerveau comme une boisson
capiteuse. »
Mais le monde du peintre est plus
naturaliste que ne le prétend le poète.
Sous une apparente sobriété les
visions de Boudin débarrassées de l’opacité de la
matière sont baignées de Lumière et de
Légèreté.
Cette perception du paysage n’a pas
été étrangère à l’inspiration du jeune Monet,
devenu un temps son disciple, l’accompagnant dans son périple, le regardant
travailler sur « Nature ».
Fort de cette leçon il saura au
passage remercier Boudin :
« Je n’ai pas oublié que c’est vous le premier
qui m’avez appris à comprendre et à voir »
Ainsi commence un moment inoubliable
de l’aventure impressionniste.
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