20 novembre 2013

Revivre par les mots


Revivre par les mots, telle est encore la révélation des poètes, fidèles à une quête existentielle d’un trésor invisible et universel, hors des routes tracées à l’avance et des sentiers battus.

Moments rares d’un infini silence mais pour toute une vie !

Sans souci de gloire à faire étinceler ou de subsides à partager, la poésie s’offre à nous dans sa fraîcheur de source et son extrême dénuement…

N’est-ce pas là sa vocation première et ultime dans le monde de bruits et de fureur des mots où nous baignons ? Ainsi peut-elle nous surprendre par sa gratuité et sa rareté loin « des bruits du temps » évoqués dans son œuvre par le poète russe Ossip Mandelstam.

« Face au siècle loup garou et aux lâches » et à l’image du poète François Villon, dont il revendiquait la noble légitimité, il élevait avec force la protestation du poème.

Dans notre monde contemporain la poésie, cette langue souvent dévalorisée et considérée la plupart du temps comme une langue morte, ne cesse de nous interpeller.

Elle nous visite parfois, à la dérobée, poésie cachée qui voudrait émerger secrètement dans nos vies. Parfois elle éclate en nous « dans une déferlante » que nous n’espérions plus et les couleurs des mots font un étrange paysage dans nos cœurs meurtris !

Voyageur mystérieux dans une terre souvent inhospitalière, que ferions-nous sans elle ?

Chacun y est merveilleusement soi et, merveille plus grande, pas seulement soi mais en fraternité avec tous les poètes et artistes qui, au cours de âges, ont su prendre le large pour des horizons plus libres.
M.S


Pierre Sentenac 'Couleurs des mots'











Livre:
Ce texte fait référence au livre de Michèle Serre
"Ossip Mandelstam
    un poète habité"
illustrations de Pierre Sentenac

est disponible aux éditions Le Bien-Vivre: 
Pour commander cet ouvrage contacter l'adresse mail:  lbvmps@outlook.fr    
( Livres d’artiste de Collection, cousu main, couverture Moulin Laroque, papier moulin ou vergé:
tirages 100 exemplaires numérotés, prix: 18Euros )


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28 octobre 2013

Portrait d’un rêveur


Fuyant les grappes de touristes qui s'agglutinaient devant certaines toiles, il s'isola près d'un tableau moins regardé que les autres, moins commenté, moins aimé peut-être.

C'était _L' Assemblée dans un parc_ qu'aucun amoureux du XVIII ème siècle ne peut regarder sans frémir et ses yeux se noyaient lentement dans la draperie du manteau de la femme qui l'obsédait depuis si longtemps. Enfant, il avait déjà la spécialité de se perdre pendant de longs instants dans ces plis de silence qui orchestraient si parfaitement ses interminables rêveries.
Le pli du vêtement n'est jamais innocent. Il invite à la rêverie, à la pause ou crée la surprise et il ondule dans nos vies si calmes: navire sensuel pour nos corps immobiles...

A force de regarder le manteau, il eut conscience de la présence de la femme derrière lui. Il se retourna pour lui parler de ces drapés qui lui tenaient tant à coeur. Mais elle ne comprit pas ces préoccupations; il fut saisi par son regard avide, à la recherche d'un au-delà qui fuyait dans les silhouettes floues des personnages. Cela lui suffit. Il n'était plus seul mais ressentit la douleur aiguë d'une séparation prochaine.
Car, à présent, à l'instar du personnage féminin des fêtes galantes, elle lui tournait le dos et s'éloignait sans bruit...

_ "Cela vous plaît-il?"

Une voix très grave parvenait jusqu'à lui comme à travers d'épais nuages.
Agréablement surpris, il se retourna mais de toute évidence, la voix appartenait à une jeune fille plutôt garçonne, les cheveux coupés court autour de son visage rond, vêtue de jeans (tenue qu'il abhorrait entre toutes).

_ "L'uniforme de notre époque!" se dit-il.

Il haussa les épaules et répondit du bout des lèvres. En quoi, cela pouvait-il la concerner? Redescendre sur terre lui était déjà bien difficile et sa présence ne faisait qu'augmenter sa déception.
Dommage pour sa voix! si peu stéréotypée, si chaleureuse, comme modulée par des siècles de silence!...

Quand il sortit du musée, il se dépêcha de rentrer chez lui pour changer de vêtements.
Il dîna d'un repas froid peu élaboré, se lava et se rasa de près. En touchant sa peau devenue si douce, il ne put s'empêcher de murmurer une publicité. C'était toujours comme ça! De grandes envolées: le musée, le concert et puis le hiatus avec la vie platement quotidienne.
L'esprit hanté par une vision d'outre-ciel, il s'était soudain trouvé avec une femme dont il n'avait pas désiré l'intrusion dans sa vie privée. Que diable faisait-elle à côté de lui?
Il ne regretta pas de l'avoir ignorée. Les filles d'aujourd'hui sont si mal élevées. Rien à voir avec la femme des "Fêtes galantes" et, presque religieusement, il mit un disque, comme pour prolonger l'envoûtement.
Merveilleuse musique de Rameau ! Le phrasé harmonieux réveillait en lui une foule de sensations heureuses et comme éthérées, si près des eaux troublantes de Watteau... Pourquoi ces deux personnages hors du commun ne s'étaient-ils jamais rencontrés? Le miroir en face de lui bougea et il s'endormit...
On pouvait toujours rêver de rencontres hasardeuses!

Extrait de « L’Assemblée dans un parc »




Pierre Sentenac  "L'Assemblée dans un parc" 1990




Livre:

Cette Nouvelle est extraite d'une publication de 2 Nouvelles de Michèle Serre
"L'Assemblée dans un parc"
"Portraits d'artistes"
illustration de Pierre Sentenac



Livre disponible aux éditions Le Bien-Vivre: 

Pour commander cet ouvrage contacter l'adresse mail:  lbvmps@outlook.fr   
( Livres d’artiste de Collection, cousu main, couverture Moulin Laroque, papier moulin ou vergé:
tirages 100 exemplaires numérotés, prix: 15Euros )


Nota Bene:

Les illustrations ont été effectuées directement à partir des Logiciels des années 90.
Ceux-ci n'existant plus actuellement ces images ont valeur d'oeuvres originales
Comme des gravures actuelles!



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16 octobre 2013

Camus le Méditerranéen


« J’ai toujours eu l’impression de vivre en haute mer, menacé, au cœur d’un bonheur royal »

Je ne connais pas de phrase qui définisse aussi bien à la fois Camus et la condition humaine dans toute sa noblesse !

En haute mer, il y a vécu et il n’y a qu’à écouter sa voix dans « Retour à Tipasa » pour savourer avec lui la joie unique que procure la vie à la lumière des paysages méditerranéens. Mais il aurait pu se contenter de vivre sur la colline ou même de s’y endormir… alors qu’une fois la lumière conquise il retourne aux servitudes du temps.

« Je redécouvrais à Tipasa qu’il fallait garder intactes en soi une fraîcheur,
  une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice,
  et retourner au combat avec cette lumière conquise. »

Existe-t-il un courage plus vrai que cette détermination tranquille, une sérénité plus grande que celle qui conduit à l’engagement et au dynamisme ?

On a tellement parlé de l’absurde que je ne veux pas tenter de le définir.

Comment ne pas se souvenir de certains matins gris où dégoûtés de tout nous nous débattions avec l’ombre géante ? A quoi bon lutter ? A quoi bon vivre ? Nous serions alors tentés de nous enliser dans les ténèbres jusqu’à nous confondre avec elles …
Mais soudain, il y a une onde bienfaisante qui vient rafraîchir notre cœur, une promesse, une joie, une tendresse… à nous de l’accepter dans sa plénitude et de la garder en nous comme une eau vive !

C’est là ce que me dit Camus, et j’accueille avec gratitude l’espoir qui se reflète dans la vague qui fuit, car existe-t-il d’autres formes d’espoir, sinon cette fragilité d’écume porteuse d’infini?




Pierre Sentenac   A chaque Vague... 16/10/2013


                                   A chaque vague une promesse
                                            Dans la mer tous les rêves de la terre
                                            Se mettent à vivre !
M.S

4 octobre 2013

Les Couleurs de la Confiture


Le bleu triomphal dans la Bacchanale de la Joueuse de luth de Poussin
le bleu du ciel si limpide dans les paysages de Karen Blixen
le bleu d’Yves Klein lumineux et froid
comme un glacier en hiver

Mais qu’en est-il de la couleur des confitures ?
Par quelle magie dorment-elles dans les replis de l’enfance
ou de la terre qui a bercé les fruits ?

Par quelle alchimie le bleu des myrtilles
se teinte-t-il de violet comme si l’alliance du mouvement de l’eau
et du feu éclatait soudain ?

Chaque saison amène des couleurs et des bonheurs différents.
En automne je suis toujours surprise par la cueillette des coings, ce fruit devenu plus rare dans nos régions car les haies où l’arbre se hissait naturellement, le ruisseau où il reprenait des forces après les chaleurs de l’été, sont des images qui tendent à s’effacer de nos paysages. Et l’odeur subtile des coings n’a rien à voir avec l’odeur des pommes qui envahissent les jardins et les champs… ne parlons pas des néfliers moins familiers pour les citadins, son goût âcre marié au goût sucré des kakis me ravissait, se mêlant harmonieusement à mes jeux trop peu nombreux à mon gré.
Mais revenons aux confitures !
Aujourd’hui j’ai repris le flambeau de sa fabrication comme si l’achat d’un pot de confiture ne suffisait pas à nous rendre les saveurs d’autrefois. Il y a pourtant des contraintes que je ne saurais nier. D’abord réunir les ustensiles remisés au fond des armoires : la bassine en cuivre toujours aussi indispensable et puis les pots transparents qu’il faut aligner, nettoyer et essuyer méticuleusement. Eplucher les coings dont la peau est dure et bosselée suppose des gestes précis, les couper une grande force. C’est le travail d’un homme autant que possible et puis l’ajout de l’eau, du sucre, l’alchimie de la cuisson, le rangement des pots bien alignés sur les étagères souvent inaccessibles aux petites tailles. Les regarder avec fierté est tout simplement jubilatoire !
Enfants nous n’avions pas le droit de manger la confiture rapidement et cette attente paraissait insupportable. Ce n’est qu’au début de l’hiver que ce privilège nous était enfin octroyé.
Je me souviens avec nostalgie de l’ouverture du premier pot, de la découverte de la couleur et de la texture de la confiture. Et ce qui nous surprenait au plus haut point c’était la couleur rouge de la confiture que nous étalions avec délice sur les tartines. Par quel mystère le jaune des coings avait-il viré au rouge, ce rouge que j’ai vainement cherché pendant des années et que je retrouve un peu aujourd’hui car les fruits de ce cognassier (que mon père avait planté dans le jardin et que nous avons retrouvé tout à fait par hasard) offrit à cette confiture une teinte rouge un peu mordorée, mais pas tout à fait celle de l’enfance où les sauterelles bleues volaient avec légèreté dans le soleil !

Michèle Serre


Pierre Sentenac Couleurs de la confiture 04/10/13

6 septembre 2013

Propos sur "Orgueil & Préjugés"


Il est de bon ton d’admettre comme une vérité qu’un roman porté à l’écran perd de sa force et dessert l’œuvre littéraire. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Certains écrivains n’ont été connus que grâce à la sortie d’un grand film. J’en veux pour preuve l’intérêt suscité par le film : « Le docteur Jivago » révélant au monde entier le poète russe Boris Pasternak et permettant ainsi une connaissance plus large de son œuvre.
Le film de Simon Langton : « Orgueil & préjugés » réalisé par la BBC en 1995, n’échappe pas à ce phénomène et a suscité un véritable engouement et une volonté de mieux connaître la romancière anglaise Jane Austen au-delà de la somptuosité des images.
« Orgueil & préjugés » ressuscite pour nous un mode de vie séduisant et sans doute idéalisé de la société anglaise à la fin du XVIIIème siècle. Dans le cadre d’une campagne provinciale du sud-ouest de l’Angleterre, le Hampshire aux paysages bucoliques, vit une famille unie dont le mode de vie peut attirer certains de nos contemporains. Un mode de vie simple mais confortable, une proximité avec la nature ont marqué durablement Jane petite fille et sa sœur aînée Cassandra. Comme ses héroïnes Jane aimait à rouler dans l’herbe, grimper aux arbres, battre la campagne et n’hésitait pas, en bravant les bienséances, à se crotter les vêtements !
Il y a aussi les conversations familiales et surtout la lecture, la bibliothèque paternelle remarquablement fournie à laquelle les enfants ont accès sans aucune restriction. Jane lit beaucoup, même les romans de bibliothèques circulantes de prêt qui venaient d’être inventées et on lisait à haute voix après le dîner.
Pour Jane la passion d’écrire commence très tôt dès l’âge de 7 ans et le cercle de famille constitue ses premiers lecteurs. Cassandra préfère le dessin et le seul portrait de Jane à notre disposition est un portrait croqué par Cassandra. Toutes ces activités et ces échanges nombreux agrémentent les longues soirées d’hiver. Aux plaisirs du théâtre amateur, aux longues promenades s’ajoutèrent très tôt ceux de la danse, part importante de la vie sociale de Steventon et des villages avoisinants. Pour cette classe de la petite bourgeoisie les bals donnaient à tous l’occasion de se réunir. Jusqu’à la fin de sa vie (malheureusement bien courte à nos yeux) Jane aima passionnément la campagne et la danse.
Son grand déchirement fut sans doute de quitter ce havre de paix lorsque son père décida brusquement de se retirer de ses fonctions de clergyman et d’abandonner Steventon pour la vie urbaine et élégante de Bath, lieu de villégiature à la mode que Jane n’aimait pas et où se sont taris pendant dix ans les débuts prometteurs de sa création l’orientant inexorablement vers une vie matrimoniale souhaitable, destin commun de toutes les femmes de son époque…
C’est à son retour dans le Hampshire avec sa mère et sa sœur qu’elle renouera dans la solitude avec son inspiration, affrontant avec courage des conditions de vie très difficiles (les revenus alloués par les frères s’avérant trop fluctuants et ne permettant pas de faire face sereinement aux dépenses). Le choix de Jane de se consacrer à l’écriture, refusant un mariage qui aurait pu leur amener une vie plus confortable, témoigne pour l’époque d’une grande liberté. Compagne fidèle de sa sœur, Cassandra n’ignore pas ses scrupules et l’encourage jusqu’à la fin avec ferveur dans la voie de sa création.
« Mieux vaut tout sauf un mariage raté » disait Jane incluant Cassandra dans sa conviction. En effet Cassandra s’était retirée du monde à la suite de la mort de son fiancé à St Domingue !
Sous son influence Jane a-t-elle renoncé définitivement à l’amour pour se consacrer à sa création ?
Ses personnages ne sont que des personnages fictifs ! Elle insistait là-dessus mais pour nous, ils vivent parfois en chair et en os, brûlants du feu de l’amour et de la tendresse.
« Ils sont mes enfants bien-aimés et je les envoie dans le monde » disait-elle.
Et les deux sœurs « d’Orgueil & préjugés » revivent pour nous au-delà du temps…
Vive et enjouée Elisabeth Bennet rejoint souvent sa sœur pour échanger sur les menus incidents du quotidien, sur la famille mais aussi sur leur sujet de prédilection : l’amour et le mariage.
Elisabeth est déterminée à se marier par amour et à construire son bonheur sans tenir compte de sa famille ou de quiconque, une liberté qu’elle s’octroie en refusant la demande en mariage du clergyman Collins (au grand désespoir de la grande marieuse qu’est sa mère !)
Jane plus réservée que sa sœur est une oreille attentive aux interrogations et aux dires parfois espiègles de sa sœur !

Ainsi vont les rêves de rire et de larmes…

Merci Jane Austen

Michèle Serre



Pierre Sentenac, "Les 2cousines" d'après A.Watteau


Nota Bene:

DVD conseillé BBC , Koba films, 2dvd , "Orgueil & Préjugés"
avec Jennifer Ehle & Colin Firth

17 août 2013

Aimez-vous Scarlatti?


Si l’on en croit le musicien napolitain Domenico Scarlatti l’écoute de la musique prodigue avant tout un plaisir sans égal.

 « Montre-toi donc plus humain que critique et ton plaisir n’en sera que plus grand » confiait-il.

Lorsque j’ai découvert ce compositeur, grand claveciniste de son vivant, j’ai été littéralement subjugué par la joie inconnue que sa musique me procurait…
En quête de nouveauté dans mes recherches musicales, je fus sensible à l’harmonie expressive et colorée des sonates que je découvrais avec émotion.
Ce fut pour moi une véritable révélation que les années n’ont pu effacer. Une familiarité s’est établie au fil des jours et sa douce mélancolie, ses rêveries suggestives ont imprégné durablement mon chemin de vie.
Dans sa quête spirituelle, l’homme a besoin de vibrations pour avancer sur le chemin et je les ressentais fortement dans ma fréquentation quotidienne avec cette musique. Je rentrais en communion avec le souffle vivant qui la portait et les métamorphoses de la nature, de ses mystères, de ses mouvements et de ses couleurs s’offraient à moi avec une vérité jusqu’alors inconnue.
Une porte s’ouvrait vers une quête de Beauté insoupçonnée et mon chemin de peinture n’est pas étranger à ce que je ressentais au contact de cette musique.

Rares pour moi sont les musiciens dont la musique m’a interpellée avec une telle intensité, m’invitant au dialogue pour décrire ces moments fugitifs où l’harmonie de la nature est omniprésente !

Ainsi dans la sonate en ré mineur, L 422

«  Le vent dans la plaine
s’éloigne, disparaît, revient
Dans le tourbillon vert des feuilles
le noir se brouille
Donnant en face de mes yeux
l’image de la peur…
Le frisson s’éloigne, la tache sombre
déploie un rouge naissant
qu’un son de cloche éveille
C’est alors l’apothéose dans la montée
vers l’Azur où se mêle
la Divine couleur au Divin son. »
Février 1964

Cette montée vers l’azur elle fait partie de mon être et de mes prédilections pour les ciels souvent traduits dans mes recherches picturales.
P.S



Pierre Sentenac "Le vent dans la plaine"  09/87




Références Discographiques:

Emil Guilels (piano) - 7 Sonates: L422, L116,L423,L118,L395,L449,L487.

visible sur You-tube réf. Emil Guilels Scarlatti

9 juin 2013

Rencontre avec St Exupéry III


L’évocation du dernier livre de Toni Morrisson ‘Home’ met en lumière le rôle majeur de la maison dans la vie des êtres humains même chez les plus déshérités. Le lieu c’est le sentiment qui redonne à l’homme une dignité, une fierté salvatrice. Dans ‘Terre des Hommes’, St Exupéry souligne aussi la valeur irremplaçable de ce lieu de mémoire dans la vie humaine et trouve des accents émouvants pour célébrer la maison d’enfance.
Au sens étymologique la maison suggère une permanence, du latin manere (qui reste) jalonnant toute vie humaine d’une présence récurrente.

Pour le narrateur perdu dans le désert, la maison exerce un pôle d’attraction qui génère une rêverie, rêve d’une enfance magique qui le surprend comme une ‘Visitation’, lieu d’ancrage lui permettant de retrouver l’espoir du salut, une raison d’être malgré son insignifiance dans un paysage totalement étranger :

« Je n’étais rien qu’un mortel égaré entre du sable et des étoiles, conscient de la seule douceur de respirer…
Et cependant, je me découvris plein de songes.
Ils me vinrent sans bruit, comme des eaux de source, et je ne compris pas, tout d’abord la douceur qui m’envahissait…
Il était, quelque part un parc chargé de sapins noirs et de tilleuls, et une vieille maison que j’aimais. Peu importait qu’elle fût éloignée ou proche… il suffisait qu’elle existât pour remplir ma nuit de sa présence ! »

Cette sensation de bonheur innocent éclaire la nuit de l’auteur perdu dans le désert en quête d’espérance. Poursuivant ces images réconfortantes, il trace un portrait émouvant de la vieille gouvernante qui se consacrait entièrement au bien-être de tous.

« Ah je te dois bien une page. Quand je rentrais de mes premiers voyages, mademoiselle, je te retrouvais l’aiguille à la main, noyée jusqu’aux genoux dans tes surplis blancs et chaque année un peu plus ridée, un peu plus blanchie, préparant toujours de tes mains ces draps sans plis pour nos sommeils, ces nappes sans coutures pour nos dîners, ces fêtes de cristaux et de lumières »

Ainsi ces gestes familiers sont ennoblis et magnifiés par la mémoire de l’auteur qui valorise le rituel quotidien, à l’image de Vermeer dans le tableau de 'La dentellière'.
Evoquons aussi Baudelaire qui dans un de ses poèmes célèbre
La Servante au grand cœur ’:

« La Servante au grand cœur dont vous étiez jalouse
et qui dort son sommeil sous une humble pelouse
nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs… »

Même désir chez ces 2 écrivains d’honorer la mémoire de ces femmes humbles et dévouées dont la tendresse les environnait et transfigurait leur vie quotidienne.
M.S


Pierre Sentenac