6 septembre 2013

Propos sur "Orgueil & Préjugés"


Il est de bon ton d’admettre comme une vérité qu’un roman porté à l’écran perd de sa force et dessert l’œuvre littéraire. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Certains écrivains n’ont été connus que grâce à la sortie d’un grand film. J’en veux pour preuve l’intérêt suscité par le film : « Le docteur Jivago » révélant au monde entier le poète russe Boris Pasternak et permettant ainsi une connaissance plus large de son œuvre.
Le film de Simon Langton : « Orgueil & préjugés » réalisé par la BBC en 1995, n’échappe pas à ce phénomène et a suscité un véritable engouement et une volonté de mieux connaître la romancière anglaise Jane Austen au-delà de la somptuosité des images.
« Orgueil & préjugés » ressuscite pour nous un mode de vie séduisant et sans doute idéalisé de la société anglaise à la fin du XVIIIème siècle. Dans le cadre d’une campagne provinciale du sud-ouest de l’Angleterre, le Hampshire aux paysages bucoliques, vit une famille unie dont le mode de vie peut attirer certains de nos contemporains. Un mode de vie simple mais confortable, une proximité avec la nature ont marqué durablement Jane petite fille et sa sœur aînée Cassandra. Comme ses héroïnes Jane aimait à rouler dans l’herbe, grimper aux arbres, battre la campagne et n’hésitait pas, en bravant les bienséances, à se crotter les vêtements !
Il y a aussi les conversations familiales et surtout la lecture, la bibliothèque paternelle remarquablement fournie à laquelle les enfants ont accès sans aucune restriction. Jane lit beaucoup, même les romans de bibliothèques circulantes de prêt qui venaient d’être inventées et on lisait à haute voix après le dîner.
Pour Jane la passion d’écrire commence très tôt dès l’âge de 7 ans et le cercle de famille constitue ses premiers lecteurs. Cassandra préfère le dessin et le seul portrait de Jane à notre disposition est un portrait croqué par Cassandra. Toutes ces activités et ces échanges nombreux agrémentent les longues soirées d’hiver. Aux plaisirs du théâtre amateur, aux longues promenades s’ajoutèrent très tôt ceux de la danse, part importante de la vie sociale de Steventon et des villages avoisinants. Pour cette classe de la petite bourgeoisie les bals donnaient à tous l’occasion de se réunir. Jusqu’à la fin de sa vie (malheureusement bien courte à nos yeux) Jane aima passionnément la campagne et la danse.
Son grand déchirement fut sans doute de quitter ce havre de paix lorsque son père décida brusquement de se retirer de ses fonctions de clergyman et d’abandonner Steventon pour la vie urbaine et élégante de Bath, lieu de villégiature à la mode que Jane n’aimait pas et où se sont taris pendant dix ans les débuts prometteurs de sa création l’orientant inexorablement vers une vie matrimoniale souhaitable, destin commun de toutes les femmes de son époque…
C’est à son retour dans le Hampshire avec sa mère et sa sœur qu’elle renouera dans la solitude avec son inspiration, affrontant avec courage des conditions de vie très difficiles (les revenus alloués par les frères s’avérant trop fluctuants et ne permettant pas de faire face sereinement aux dépenses). Le choix de Jane de se consacrer à l’écriture, refusant un mariage qui aurait pu leur amener une vie plus confortable, témoigne pour l’époque d’une grande liberté. Compagne fidèle de sa sœur, Cassandra n’ignore pas ses scrupules et l’encourage jusqu’à la fin avec ferveur dans la voie de sa création.
« Mieux vaut tout sauf un mariage raté » disait Jane incluant Cassandra dans sa conviction. En effet Cassandra s’était retirée du monde à la suite de la mort de son fiancé à St Domingue !
Sous son influence Jane a-t-elle renoncé définitivement à l’amour pour se consacrer à sa création ?
Ses personnages ne sont que des personnages fictifs ! Elle insistait là-dessus mais pour nous, ils vivent parfois en chair et en os, brûlants du feu de l’amour et de la tendresse.
« Ils sont mes enfants bien-aimés et je les envoie dans le monde » disait-elle.
Et les deux sœurs « d’Orgueil & préjugés » revivent pour nous au-delà du temps…
Vive et enjouée Elisabeth Bennet rejoint souvent sa sœur pour échanger sur les menus incidents du quotidien, sur la famille mais aussi sur leur sujet de prédilection : l’amour et le mariage.
Elisabeth est déterminée à se marier par amour et à construire son bonheur sans tenir compte de sa famille ou de quiconque, une liberté qu’elle s’octroie en refusant la demande en mariage du clergyman Collins (au grand désespoir de la grande marieuse qu’est sa mère !)
Jane plus réservée que sa sœur est une oreille attentive aux interrogations et aux dires parfois espiègles de sa sœur !

Ainsi vont les rêves de rire et de larmes…

Merci Jane Austen

Michèle Serre



Pierre Sentenac, "Les 2cousines" d'après A.Watteau


Nota Bene:

DVD conseillé BBC , Koba films, 2dvd , "Orgueil & Préjugés"
avec Jennifer Ehle & Colin Firth